Depuis le début de la crise sanitaire, au moins 10% des petits commerces ont disparu. Pour soutenir la branche et palier à ce problème, le secteur s’est uni pour créer la Fédération Vaudoise du Commerce de Détail. A sa tête une morgienne, Cécile Hussain Khan, elle-même propriétaire d’une boutique au centre-ville de Morges.
Mme Hussain-Khan, vous présidez la toute nouvelle Fédération Vaudoise du commerce de détail, pourquoi avoir choisi de créer cette fédération ?
Mme Hussain-Khan: Cela fait déjà plusieurs années que les associations de commerces du canton de Vaud se réunissent sous l’égide du centre patronal deux fois par an et la possibilité de nous regrouper y avait été déjà évoquée. Donc suite au premier confinement, nous nous sommes dit que le moment était venu et qu’avec une fédération, nous serions plus forts, plus visibles et plus puissants pour obtenir l’attention des autorités sur les petits commerces et leurs difficultés.
Quels sont les défis pour votre fédération, ou les premiers projets que vous avez choisi de mettre sur pied ?
Mme Hussain-Khan: Le premier projet était de faire partie de Welqome 2, mais cela a échoué car nous n’avons pas été assez entendus. Cependant cet échec a été une motivation à trouver d’autres biais pour nous faire connaître.
Il faut savoir que nos défis sont multiples. D’une part, se faire reconnaître par nos autorités, communales ou cantonales. D’autre part, pouvoir apporter à nos membres, ce dont ils ont besoin. Nous nous sommes donc concertés pour trouver des solutions et nous avons compris qu’un des problèmes principaux était la digitalisation. Les commerces sont très mal représentés sur le web et certains acteurs ne sont pas à l’aise avec les sites internet. Un de nos objectifs est de les rendre plus présents sur le web.
En quoi les commerces d’un centre d’une ville peuvent avoir de l’impact sur son rayonnement et ainsi attirer des touristes ?
Mme Hussain-Khan: Le shopping est une maladie honteuse ! (rires) Tout le monde aime faire du shopping en découvrant une ville. Pour ce faire, il faudrait déjà redorer le blason des commerçants et les encourager à accueillir les touristes. Une ville sans commerces donc sans touristes, c’est une ville morte ! Les petits commerces contribuent à l’ambiance des villes au même titre que les terrasses des cafés. Il faut les préserver de plus en plus car ils ont tendance à disparaître. Or ils sont essentiels pour l’accueil dans les villes.
Quel est le risque pour une ville si les petits commerces sont oubliés ?
Mme Hussain-Khan: Si les commerces sont oubliés par les autorités, par le tourisme et les clients, le risque est qu’ils disparaissent. Dans ce cas, on remarque souvent que certaines boutiques qui ferment sont remplacées par des bureaux, ce qui enlève le cachet des vitrines et l’animation des villes. La ville devient inintéressante. La prochaine étape, que je prédis, c’est la disparition de ces bureaux qui perdront en visibilité en raison d’une diminution du passage et qui s’en iront en périphérie à cause des problèmes liés au manque de places de parc. On retrouvera donc de plus en plus de locaux vides dans nos villes, ce que l’on peut déjà remarquer dans certains pays voisins.
Comment le commerce de proximité peut-il favoriser une consommation plus durable ?
Mme Hussain-Khan: On peut trouver une réponse à cette question rien qu’en observant le trafic des montagnes de cartons à la Poste générés par les achats en ligne. Cette marchandise serait retournée à 60%, ce qui engendre une pollution énorme et une saturation des services postaux. Cela constitue un premier point prouvant que le commerce de proximité est plus durable. Dans un commerce réel, le client a le choix, il peut essayer, toucher, se faire conseiller et acheter ce qu’il lui va et lui plaît. Un autre avantage des petits commerces est le lien social. Beaucoup de commerçants sont une oreille attentive, parfois même « psychologue » pour les clients qui souhaitent raconter leurs histoires. Un fort lien s’établit donc entre la clientèle et les commerçants.
La destination de Morges Région mise sur une stratégie de slow tourisme depuis 2016. Quels liens faites-vous entre le slow tourisme et les commerces de proximité ?
Mme Hussain-Khan: Dès que le Slow Tourisme a été mis sur pied dans le district de Morges, j’ai développé le Slow shopping pour la ville de Morges. Nous avons édité une carte sur laquelle se trouvent les zones de nos différents commerces, afin de promouvoir également les commerçants excentrés. Nous avons aussi mis en avant les commodités, notamment les places de parc ou les wc. Le Slow shopping invite les visiteurs à prendre le temps de flâner en ville, ce qui est extraordinaire pour contempler les vitrines, admirer les bâtiments, l’architecture. On inclut évidemment toutes les terrasses, les rencontres avec les passants ou nos proches, ce qui est très précieux. Le mot d’ordre est de prendre son temps.
Quelles synergies pourraient être mises en place entre les différents acteurs touristiques et les commerçants ? Auriez-vous des bonnes pratiques à partager avec nous ?
Mme Hussain-Khan: Plusieurs synergies peuvent être mises en place entre les différents acteurs de la ville, notamment l’office du tourisme, les autorités, les espaces verts, les clients, les associations. Cela s’applique en fonction des différentes structures des villes. Par exemple, je participe volontiers aux différentes réunions de l’office du tourisme pour établir une forte collaboration, et eux font de même lors de nos assemblées générales. En créant ce lien de proximité et d’amitié, les propositions sont reçues plus favorablement.
De nombreux projets sont actuellement en cours avec ces différents acteurs. Par exemple, avec Morges Région Tourisme nous travaillons sur un film promotionnel de la ville et des commerces. Une campagne de promotion du commerce local devrait être mise sur pied par la ville ce printemps. Ce ne sont que quelques exemples, qui démontrent que chacun a mis de son énergie et de son temps dans ces projets, en avançant sur le même objectif. Cela peut fonctionner dans d’autres villes, pour autant que le facteur humain soit présent.
Il est également important de souligner que lorsque des litiges interviennent entre les acteurs, il faut savoir prendre du recul et mettre au centre de nos intérêts l’amour porté à nos villes. Chacun aime sa ville pour des raisons propres. Il est donc question de regrouper ces amours pour développer un lieu privilégié, qui puisse attirer des visiteurs.
Qu’espérez-vous des commerçants et des clients une fois que les restrictions sanitaires seront levées ?
Mme Hussain-Khan: J’espère surtout que les clients ne nous oublieront pas. J’ai l’impression qu’ils continuent de chercher sur internet ou à l’étranger différents produits auxquels ils n’ont pas accès en raison de la fermeture des commerces. De mon avis, aucun commerce n’est “pas essentiel”, autrement ils auraient disparu depuis longtemps. Ils ont tous un rôle à jouer et une certaine importance. Suite à la première vague : on a remarqué un grand engouement les deux premiers mois de réouverture puis la suite de l’année a par contre été moyenne et la fin pas terrible du tout. La crise va durer encore très longtemps et je crains un certain fatalisme face à la disparition de certains d’entre nous.
J’espère surtout que la vie pourra reprendre, qu’on recommencera à faire vivre nos villes, s’y balader, regarder les vitrines, entrer dans les commerces, aller sur les terrasses.